EXTRAITS DE QUELQUES ECRITS DE JACQUES LORDAT
Doyen de la faculté de médecine de Montpellier
de 1818 à 1831

 

 

 I - ESSAI SUR L'ICONOLOGIE MEDICALE


1 - Signification des expressions Iconologie, Iconopée, Iconographie.


EIKON" signifie image. L'Iconologie doit être l'intelligence des images, ou des représentations faites avec le crayon,
les couleurs, la gravure, le relief, la ronde bosse.
L'Iconologie est l'interprétation des images.
L'Iconographie est la description d'une image ou d'un ouvrage iconique.
Comme nous pourrons avoir besoin d'un mot qui exprime l'action de former une image,
je me servirai de l'expression ICONOPEE – tant il me paraît conforme à l'analogie.
Ainsi, Iconopée, Iconographie et Iconologie signifient successivement l'action de former, de décrire et d'interpréter une image.
Les artistes ont découvert les moyens par lesquels ils nous initient dans la connaissance de ces modes internes de l'homme moral.
Le médecin est obligé aussi de reconnaître dans l'homme purement vital des modes d'être que ni les sens,
ni l'imagination ne peuvent représenter : il pourra imiter l'artiste et s'élever, comme lui, des formes que notre oeil contemple,
à des notions que l'intelligence seule peut concevoir.

L'Iconopée se compose de 3 parties :
1 - une matérielle ou naturelle
2 - une seconde intellectuelle
3 - une troisième presque conventionnelle
L'Iconologie (2 et 3) est l'ensemble des connaissances nécessaires pour bien lire les productions des arts et dessins.

2 - Iconopée et Iconologie

Le Dessin est la représentation sur une surface unie sans relief, avec une seule couleur.
Ce mode d'iconopée est le plus rapide, le plus usuel et le plus commun :
le moyen le plus prompt pour communiquer avec les hommes intelligens, il nous permet le plus d'instruction.
Dans le dessin, l'intelligence de l'image n'est pas le résultat immédiat d'un acte de vision,
mais elle suppose une opération de l'entendement. Il n'est pas question de l'exercice de l'organe de la vue (dès la naissance),
il est question de ce qui se passe chez un individu qui sait lire.
Puisque les diverses sortes de dessin monochrôme ne sont pas des représentations identiques des corps ;
que pour en connaître les formes et les relations réciproques, une opération intellectuelle est indispensable :
on peut dire que ce moyen de communication n'est pas une substitution de la nature,
mais qu'il est mi-partie de la peinture et du langage.

Qu'est-ce que le langage ? On peut nommer ainsi tout moyen physique capable de produire une impression
et une sensation sur quelqu'un de nos sens ; moyen qui, à l'occasion de cette sensation, fait naître dans notre esprit
des idées qui avaient été attachées conventionnellement à cette sensation.
Le langage humain le plus usité est la parole. Mais, chacun de nos sens est susceptible d'un véritable langage conventionnel :
tout n'est que de s'entendre.
Le langage de la parole n'a pour signes naturels que ce que nous appelons les onomatopées,
tous les autres moyens sont de convention.
Le but commun du langage et du monochrôme est de transmettre :
1 – des idées d'objets qui peuvent tomber sous le sens
2 – des idées de la relation qui existe entre les choses sensibles
3 – des notions abstraites
4 – des affections et des modifications de l'âme.

3 - Division générale de l'Iconologie

Le monochrôme doit être étudié comme une langue, sous les 2 apports littéral et philosophique :
1° le sens littéral d'une langue peut être comparé à la détermination du sens matériel d'un monogramme,
à la conception de l'objet physique qu'il représente ;
2° le sens philosophique du discours, son interprétation, son herménie (Francis Bacon) correspond à l'explication d'un dessin.

Les fonctions d'un grammairien sont différentes du philologue, l'iconographe différent de l'iconologue.
La science du dessin a donc :
- une partie technique qui a pour objet la représentation de tout ce qui tombe sous nos sens
- une partie métaphysique qui a pour objet de faire naître dans notre esprit des notions purement intellectuelles.
Cette langue a donc un dictionnaire, une syntaxe et une littérature. Donc, encore, elle a besoin d'une bibliothèque.

4 - Utilité de la littérature monochromatique

Chaque langue a une littérature propre, dont le caractère est spécial. Dans chacune, on trouve des idées,
des modes de penser, des habitudes et des propensions mentales, qu'on ne trouve pas dans les autres.
Chez les Artistes, les traits sortis de leurs crayons sont l'expression rapide de leurs pensées.
C'est une langue aussi féconde et aussi noble que tant d'autres,
dont on a réuni les lexiques et les productions les plus remarquables.
Le cabinet Arger est une collection de dessins originaux de tous les genres dans notre faculté,
à titre de connaissances utiles littéraires et techniques.
Ce cabinet de dessins est une réunion de chefs-d'oeuvre qui forment système.
Atger, après son cours de philosophie, fréquente la faculté de médecine
dont l'enseignement a pour objet l'étude de l'homme envisagé sous tous les points de vue.
Hippocrate, Euclide, Pline, Vitruve : les matières renfermées dans ces livres ne s'adressent qu'à l'intelligence,
elles n'intéressent ni l'imagination, ni le coeur, ni l'âme ; et ce sont ces facultés qu'il faut remuer,
si l'on veut que l'élève trouve du plaisir dans l'étude d'une langue.
Attirons-les par des images qui excitent la curiosité, et par des émotions douces.
Dans peu, l'intelligence se développera ; ils seront à la portée de ce mode de transmission,
et appliqueront cette langue aux objets scientifiques qu'ils recherchent.
Ainsi l'homme, ses formes, ses actes, ses affections morales, une partie de ses affections morbides,
les modifications qu'il reçoit de tout ce qui l'entoure : voilà les sujets constans de ses compositions.
Après les avoir vus aesthétiquement, il les regardera de nouveau sous le point de vue médical.
Développer l'intelligence, c'est apprendre à faire un choix.
Le dessin le plus informe vaut ordinairement mieux que la description écrite la plus circonstanciée.

 

 II -  LA MEDECINE COMME SCIENCE DE LA NATURE HUMAINE

1 - Méthode philosophique pour étudier une chose de manière à en faire l'objet d'une science complète

 Examiner la chose successivement sous des points de vue différents, et suivant un ordre déterminé.

        1ère opération : appliquer les sens à la chose, de manière à saisir tous les faits qu'elle présente dans un temps donné.

        2ème opération : l'intelligence tire de ces faits la première connaissance mentale qu'elle a pu en déduire.

        3ème opération : considérer de nouveau la chose dans tous les instants où elle a pu exister,
dans toutes les circonstances où elle a pu se trouver, dans tous les rapports actifs ou passifs
qu'elle a pu avoir avec les autres choses du monde entier ; et en combinant ces nouveaux faits
avec ceux que les deux premières opérations nous avaient appris, on classe toutes ces connaissances,
et on les rédige en lois générales de la chose étudiée.

        4ème opération : opération mentale dans laquelle les lois générales de la chose sont étudiées entre elles,
et sont rapprochées avec les lois générales des autres choses du monde pour en apercevoir les rapports,
et pour déduire de cette comparaison la plus haute connaissance que l'on puisse avoir de sa nature.


2 - Fonctions pananthropiques

1° les sentations
2° l'appréciation de la sensation de la part de chacune des puissances
3° la conversion de la sensation en idée
4° la combinaison des Idées, ou l'exercice de l'Entendement
5° l'action de la volonté
6° l'exécution des Actes par cette volonté


3 - Facultés (extraits)

1 - l'unité
2 - l'égoïsme : self et non-self
3 - personnalité et sens intime,  x différent de tout autre
4 - sensibilité :
  - conscience de soi ou intuition
  - conscience de l'impression d'une chose qui appartient au non-moi
5 - la force de conception : la faculté de convertir une sensation en une idée qui reste dans le sens intime,
soit actuellement, soit virtuellement, avec pouvoir de la rendre présente, pouvoir qui est la Mémoire.
12 – aptitude créatrice : imagination, talent poétique
15 – susceptibilité d'éprouver des phases = aptitude qu'a le sens intime, sans cesser d'être lui-même,
à changer de modifications dans le cours de sa durée, de manière à pouvoir être le sujet d'une histoire chronologique.


4 - Les faits vitaux

Les faits vitaux sont aussi contingents que les faits psychologiques.
Notre art s'intéresse à l'étude de toutes les impressions dont l'homme est susceptible.
A Montpellier, on s'est sans cesse occupé de l'Homme,...,
afin de concevoir la production des phénomènes prodigieusement variés
qui concourent à l'harmonie et unité de toute la vie humaine.
Nous sommes obligés d'étudier avec le même zèle et avec le même soin l'anatomie humaine,
la psychologie et la force vitale de l'homme.

Les connaissances isolées seraient strériles si nous n'avions pas étudié les lois de leur coïncidence,
de leur union, de l'alliance qui règle leurs coopérations, de leurs influences réciproques,
et des conditions extérieures et intérieures de leur existence.

 

 III -  LA PHYSIOLOGIE HUMAINE


Mais la plupart des faits médicaux sont de nature très différente ; et quand on cherche à deviner,
dans une représentation pittoresque, les modes pathétiques que l'artiste voulait exprimer,
on emploie plus utilement son temps, et on est plus près de la route de la Physiologie Humaine,
ou de la Science de la Nature de l'Homme, considéré comme vivant et pensant,
que lorsqu'on cherche à résoudre bon gré mal gré, les phénomènes vitaux en lois mécaniques.

Dans les livres d'histoie naturelle, on ne voit guère que la forme des animaux ;
dans les dessins, on voit leurs affections, leurs actions, leurs moeurs.

Pour que les sujets nous intéressent, il faut que les images nous présentent non-seulement la vie,
mais encore le sentiment : un paysage avec un être sentant qui soit affecté par ces objets extérieurs.

 

La cène de Léonard de Vinci : il a su faire voir dans onze personnes une affection dominante
qui les possèdent toutes, mais sous des traits accessoires extrêmement  differens,
à travers lesquels il a été possible de reconnaître un fond commun.

 

 

Ce que l'on entend en Médecine par Biographie.

La biographie est une des grandes parties de l'Histoire Naturelle de l'Homme.
Elle a pour objet la description historique de tous les changements qui se succédent dans la durée de l'homme vivant,
depuis l'instant de sa formation jusqu'après sa mort. Cette succession de phénomènes appréciables est ce que l'on apelle
vie dans le sens le plus concret.